Aigles et Absinthes suisses
Les recherches faites dans ma collection d'étiquettes et de dépôts de marques autour de l'absinthe Charles Silliman (Voir les deux articles précédents) m'ont fait mettre le doigt sur un détail intéressant : les absinthes suisses fabriquées dans le canton de Neuchâtel ont pour certaines un aigle sur leurs étiquettes. À ma connaissance, l'aigle ne se retrouve sur aucune marque française, exceptée chez la Maison Guy de Pontarlier, au moment du passage à l'anis. Pour rappel, Pontarlier est situé à la frontière suisse.
Dépôt de marque en 1888 pour l'absinthe fabriquée à Neuchâtel pour le négociant bordelais Silliman. Coll. Delahaye.
L'aigle est considéré comme le roi des cieux. Il a des serres acérées, une excellente vue et une force puissante. Pour cette raison, l'aigle a été utilisé sur les drapeaux et armoiries de différents États pour représenter le courage, le pouvoir et la liberté.
Les armoiries sont un signe de reconnaissance dont l'usage se généralise en Europe vers le milieu du XIIe siècle. L'aigle est plus particulièrement le symbole de l'état allemand. Dès le début du Saint-Empire romain germanique, il ornait les armes du roi et presque tous les princes d'Empire le portaient sur leur blason afin d'indiquer leur position de vassaux. Il s'agissait d'un aigle bicéphale symbole du pouvoir de l'Empire sur l'Orient et l'Occident.
Devenu le symbole du Saint-Empire romain germanique, l'aigle à deux têtes sera repris par l'Empire d'Autriche (1804-1919), à la dissolution du Saint-Empire. Il sera encore en usage dans la Première République d'Autriche (1919-1938) puis fera place à l'aigle monocéphale.
Très ancienne étiquette avec l'aigle bicéphale, symbole fort du Saint-Empire romain germanique. Les ours, sont présents sur les armoiries du canton de Genève. Collection Delahaye.
La principauté de Neuchâtel, qui appartenait au royaume de Bourgogne alors vassal du Saint-Empire romain germanique, devint la propriété personnelle du roi de Prusse Frédéric 1er en 1707. Elle le restera jusqu'à la révolution de 1848.
Frédéric 1er préféra à l'aigle bicéphale du Saint-Empire romain germanique, l'aigle noir monocéphale déjà présent sur les armoiries primitives de la branche aînée des Neuchâtel en 1214. La fusion de l'aigle et de la bannière des Neuchâtel représentée par un pal de chevrons apposé sur un écusson, aboutit aux armoiries de Neuchâtel. En langue héraldique, on définit ainsi ces armoiries : D'or à une aigle de sable armée, becquée et languée de gueules, portant en cœur un écu d'or au pal de gueules chargé de trois chevrons d'argent.
En 1815, la principauté de Neuchâtel avait rejoint la Confédération suisse en tant que nouveau canton. Elle le restera jusqu'en 1848, date à laquelle Neuchâtel deviendra une république faisant toujours partie de la Confédération suisse.
On comprend ainsi la présence d'un aigle sur certaines étiquettes. Rappel historique mais aussi symbole de supériorité surtout quand il est accompagné de la phrase Nec plus ultra (Il n'y a rien de mieux).
Aigle couronné aux ailes déployées sur une étiquette pour l'Absinthe Frères PetitPierre à Couvet, Val-de-Travers. Antérieure à 1848. Coll. Durand.
Aigle couronné aux ailes déployées sur une étiquette dont le nom est à décrypter (Il apparaît seulement sous forme d'initiales). Coll. Delahaye.
Étiquette pour l'Absinthe Richard & Müller à Neuchâtel. On remarquera la signature en bas à gauche. Coll. Delahaye.
La présence de l'aigle ne sera pas limitée au seul canton de Neuchâtel. Il apparaît sur les étiquettes de l'Absinthe PetitPierre de Romont dans le canton de Berne bien que ce soit un ours qui orne les armoiries de ce canton.
En France, Armand Guy de Pontarlier propose en 1922 le Pontarlier-Anis suite à l'interdiction de l'absinthe en 1915. Il reprend l'aigle déjà utilisé pour mettre en valeur une liqueur de sapin. L'aigle deviendra la marque emblématique de la Maison Guy.