Rivoire Frères au temps des colonies

La conquête des colonies et le percement du canal de Suez font de Marseille la première place française pour les relations avec l’Afrique, l’Inde et l’Extrême-Orient. Toutes les grandes marques d'absinthe vont installer des succursales dans toutes ces contrées avec, comme point de départ, le port de Marseille devenu la première gare maritime de la Méditerranée.

Très tôt, la Maison Rivoire Frères a installé des succursales en Afrique du Nord ainsi que le montre cette publicité : Algérie, Tunisie, Maroc.

Collection. E. Chopard.

Des cartes postales insistant sur le folklore local font la publicité de la marque.

Carte postale. Coll. J.-F. Bitaud.

Carte postale portant un tampon marqué : "Bureau de comptabilité - Confins Marocains". Coll. V. Ledoux.

Détail de la bouteille, au pied de Houria. Prénom arabe signifiant "Pure" ou "Liberté".

Batna, rue du général Faidherbe. Remarquer sur le mur de l'épicerie la grande publicité : Absinthe Rivoire supérieure. Demandez un Rivoire. En dessous Anisette Gras garantie distillée. Flor Anis. Carte postale. Coll. privée.

D'autres publicités veulent suggérer une certaine complicité, grâce à l'absinthe Rivoire Frères, entre les militaires et la population locale. Elles sont portées par des tôles lithographiées dont la valeur pour les collectionneurs n'est plus à démontrer.

Tôle lithographiée. Coll. C. Walburger.

Je vous ai gardé le meilleur pour la fin ! Cette magnifique tôle lithographiée sur laquelle la bonne société française est réunie autour de la très chic absinthe Rivoire Frères.

Autour de l'absinthe apportée par le petit groom la présence d'un couple de bourgeois témoigne de la qualité supérieure de cette absinthe. Mais l'intérêt de la scène n'est pas là. Elle réside dans la présence du militaire, général, commandeur de la légion d'honneur portée en collier. Il serre la main à un officier Nord-africain décoré de la légion d'honneur française et l'invite à partager avec lui une absinthe (sa main gauche montre la publicité sur le guéridon).

Le tout sous la protection de la République française.

Tôle lithographiée. Coll. P. Roussel.

Où se situe la scène ? À Marseille bien-sûr ! Nous sommes sur la corniche du Pharo d'où l'on distingue au loin l'archipel du Frioul avec le Château d'If.

Mais où exactement ? À coup sûr dans un hôtel de luxe. Reste à trouver lequel.

Au milieu du XIX^e siècle Marseille connaît une importante prospérité due au trafic maritime avec les colonies. De plus, les voyageurs en quête d'exotisme envahissent la cité, faisant dire à Alexandre Dumas que "Le port de Marseille est le rendez-vous du monde entier". De nombreux hôtels de luxe sont alors construits.

Le plus bel hôtel que Marseille ait connu était le Palace-Hôtel La Réserve avec sa vue magnifique sur la rade, son jardin vénitien, sa salle des fêtes et sa bouillabaisse légendaire dont la réputation avait largement franchi les frontières. (Source, Le Vieux Marseille)

Le Palace La Réserve. Carte postale. Coll. Le Vieux Marseille.

Stendhal était un fidèle de La Réserve, à l'instar de ses contemporains Balzac, Liszt, Hugo, Gautier, Lamartine... Tous s'y pressaient pour déguster ce qu'Alexandre Dumas qualifiait de "meilleure bouillabaisse de Marseille", concoctée par le patron Marius Roubion. Dumas, inconditionnel des lieux, a même fait de "La Réserve" le décor des fiançailles d'Edmond Dantès et de Mercedes dans Le Comte de Monte-Cristo. (Source, Le Vieux Marseille).

Clémenceau, Blum et les plus grandes célébrités de la fin du XIX^e et du début du XX^e siècles y ont été reçus dans des suites royales. Le Figaro le qualifiait en 1900 de "plus gai de tous les monuments historiques de Marseille".

Palace-Hôtel La Réserve. Carte postale. Collection Le Vieux Marseille.

La Réserve était en 1807 une simple auberge dans l'anse du Pharo dans laquelle on venait pour jouir du point de vue, manger une bouillabaisse et se reposer après la baignade. Elle devint accessible en mai 1844 depuis le Vieux-Port par des gondoles-omnibus à bord desquelles embarquait la bourgeoisie, comme le décrivit avec force détails Alexandre Dumas dans le chapitre 7 de son Bric-à-Brac de 1861.

Malheureusement, Roubion dû céder son terrain quand Napoléon III décida de construire le Palais du Pharo pour l'impératrice Eugénie sur l'emplacement même de La Réserve. La première pierre fut posée le 15 août  1858.

Roubion choisit alors la corniche, entre le vallon des Auffes et celui de l'Oriol, pour construire un nouvel hôtel-restaurant, véritable palace. De 1860 à 1969, "la superbe villa perchée, desservie par des omnibus spéciaux, accueillit noces, banquets, réunions politiques ou d'affaires dans une succession de salons luxueux environnés d'une vaste pinède".

Palace-Hôtel-restaurant La Réserve. La terrasse surplombe la corniche. Collection Le Vieux Marseille.

Le Palais du Pharo n'est pas encore achevé à la chute de l'Empire en 1871. Le couple impérial ne l'habitera donc jamais. À la mort de l'empereur en 1873, la ville de Marseille revendique la propriété du domaine et engage un procès contre l’impératrice, alors unique propriétaire légale. Au terme de ce procès, Eugénie décida en 1884 d'offrir le palais et ses jardins à la ville, à condition qu'ils soient employés à des fins d'utilité publique. C'est ainsi que jusqu'à la fin du XIX^e siècle, l'édifice sert d'hôpital et accueille successivement les cholériques et les tuberculeux. Puis, les bâtiments érigés sur la partie latérale de l'esplanade du Palais seront occupés par la Faculté de Médecine en 1890. En 1905 l'Institut de médecine tropicale du service de santé des armées, dite l'École du Pharo y est créé. Depuis 2012, ce bâtiment accueille le siège de l'Université d'Aix-Marseille. C'est également un lieu d'accueil pour des congrès et diverses manifestations.

Quant au Palace-Hôtel La Réserve, la Première Guerre mondiale n'a pas entaché son succès. Pendant les années 1920, l’établissement est d’ailleurs toujours très prisé des Marseillais. La Seconde Guerre mondiale verra le déclin économique et social de Marseille ce qui entraînera des conséquences sur La Réserve qui  périclitera.

Le palace tiendra encore une vingtaine d’années avant de fermer définitivement ses portes en 1969. Un an plus tard, il sera complètement détruit, "malgré de très belles colonnades corinthiennes et son intérieur magnifique" pour laisser la place à un programme immobilier haut-de-gamme baptisé "La Réserve". (Le Vieux Marseille).

Détail des colonnes corinthiennes présentes sur le Palace La Réserve et sur la tôle lithographiée. Au rez-de chaussée donnant sur la terrasse, on observe des encadrements de fenêtre à décor byzantin que l'on retrouve également sur la tôle derrière le chapeau de l'homme bourgeois.

La carte postale suivante replace tous les éléments de la tôle lithographiée : la double rangée de colonnes corinthiennes, le rez-de-chaussée avec les encadrements de fenêtre à décor byzantin. L'escalier conduit à la terrasse où se situe la scène de la tôle. On remarquera les piliers à balustre encadrant l'escalier et faisant le tour de la terrasse ainsi que l'angle bien marqué de celle-ci observable sur la tôle Rivoire.

La scène de la tôle Rivoire se situe bien au Palace-Hôtel La Réserve.

Route de la Corniche. Le restaurant de la Réserve. Vue de l'escalier montant sur la terrasse où se situe la scène de la tôle Rivoire. Carte postale. Collection Le Vieux Marseille.

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http://absinthemuseum.auvers.over-blog.com/2021/02/absinthe-rivoire-freres-son-histoire.html