Crémation à Varanasi
Pour les indiens hindouistes qui représentent 72% de la population, la mort n’est pas triste. Le corps n’est qu’une enveloppe charnelle. Les liens du cœur et de la pensée sont eux immortels.
Pour eux, toutes les créatures, dont l'homme, subissent à leur mort une dissolution : le sang retourne à l’eau, le corps retourne à la terre, le souffle au vent, la vue au soleil et l’esprit à la lune. Ces cinq éléments retournent à leur place par le feu. Ils se réunissent à nouveau pour s’incarner dans un nouveau corps, le plus souvent animal. On a ainsi un enchaînement de cycle de vies.
On peut retrouver la vie humaine après un cycle de renaissances qui peut aller jusqu’à 84 millions de fois, certains ne durant que quelques secondes. Tout dépend de son kharma qui est directement lié aux actions bonnes ou mauvaises que l’on a faites au cours de sa vie.
Le vœu le plus cher pour tout hindou est d’être incinéré à Varanasi et que ses cendres soient jetées dans le Gange car selon la mythologie hindoue, quand le corps est brûlé à Varanasi, l’âme échappe au cycle des renaissances et repose dans la paix éternelle.
Bénarès - l'ancien nom de Varanasi - en 1922. Les temples y sont plus nombreux qu'aujourd'hui car certains très anciens se sont écroulés. Les crémations se faisaient déjà au même endroit, sur le ghat Manikarnika. Ph. Wikipedia.
Au cours de ma balade sur les ghats, alors que je suis à l'entrée de la ville, je vois une voiture arriver avec fixée sur le toit, une échelle de bambou sur laquelle est attaché un défunt enveloppé d’un sari jaune doré recouvert de guirlandes d’œillets d’inde jaunes et orangés.
Ils s’arrêtent au bord du Gange, chargent une barque du bois nécessaire puis montent avec le défunt dans une embarcation réservée à cet effet. Ils vont rejoindre Manikarnika ghat où se déroule la crémation.
Le bois est chargé sur la barque. Personne ne fait attention au défunt posé par terre. Ph. Delahaye.
Dans le petit corbillard, plusieurs défunts sont emportés vers Manikarnika ghat, le lieu de crémation. Ph. Delahaye.
À Varanasi les crémations ont lieu 24 heures sur 24. Le feu ne s’arrête jamais.
Un corps met environ 3 heures à se consumer entièrement et nécessite 350 kg de bois. Le bois le plus recherché est le bois de santal mais ceux qui n’ont pas les moyens achètent un bois de classe inférieure comme le bois de manguier.
Le bois qui arrive par bateau est déchargé et stocké sur la berge ou dans les petites rues situées juste derrière le ghat de crémation.
Le bois est pesé en fonction de la corpulence du défunt puis des hommes dont c'est le métier construisent le bûcher et installeront le corps sur celui-ci.
La crémation obéit à un rituel immuable. C'est le fils aîné ou celui qui a été préalablement désigné qui accomplit tous les gestes traditionnels.
Le défunt est trempé rapidement dans le Gange pour être purifié puis attend son tour pour une place sur le bûcher. Auparavant, un coiffeur lui rase la tête puis le fils retire le sari de couleur découvrant le corps revêtu d’un linceul blanc. Après que les employés du ghat ait recouvert entièrement le corps de bois, le fils met le feu au bûcher. En fin de crémation, il écrase le crâne avec un bâton pour s’assurer que tout est bien brûlé car c’est par là que l’âme sort du corps.
Seuls les hommes, dans leurs habits de tous les jours, assistent aux crémations, les pleurs des femmes pouvant empêcher l’âme du défunt d’atteindre le nirvana. Je suis sidérée par le calme de ces hommes qui ne manifestent aucune tristesse apparente.
Tout le monde peut s’arrêter et observer ces incinérations publiques. Les photos sont interdites, mais personne ne m'a rien dit. Les regards étaient plutôt bienveillants. Peut-être ont-ils remarqué que j'étais très impressionnée par ce que je voyais mais aussi par l’ambiance sereine et silencieuse.
Tous les hindous ne sont pas incinérés. Les nouveau-nés, les enfants au-dessous de 15 ans, les femmes enceintes, les malades de la lèpre, les victimes de cobra sont directement immergés dans le fleuve, une pierre nouée autour du corps. Je n'ai assisté à aucune de ces scènes. Heureusement !
À mon retour à Jaipur, j'ai discuté de la mort avec Sandeep. Comme je lui disais que pour nous, la mort d'un proche était une chose très triste, il m'a répondu que pour les hindous, la mort n'était pas triste du tout, que c'était une chose naturelle qui s'inscrit dans le cycle de la vie. Finalement, je me suis mise à l’envier. Lui, qui fait une heure de méditation chaque matin, qui chante les versets du livre sacré, il s’est construit une philosophie positive qui puise ses racines dans ses croyances ancestrales. Son contact gai et serein a été pour moi une source de bien-être que je ressens encore aujourd’hui.
À suivre