L'Absinthe Robette

Publié le par Marie-Claude DELAHAYE

Affiche lithographiée de Privat-Livemont, 1896. Presses J.L. Goffart à Bruxelles. © Delahaye.

Affiche lithographiée de Privat-Livemont, 1896. Presses J.L. Goffart à Bruxelles. © Delahaye.

L'affiche pour l'absinthe Robette est restée bien mystérieuse jusqu'à ce que je trouve un petit ramasse-monnaie en tôle lithographiée qui apportait un début de solution puisqu'il mentionnait les noms de Robette et Petitjean ainsi que les villes de Mons en Belgique et de St Loup en France. Il restait néanmoins à faire une recherche dans les Annuaires du commerce de la Haute-Saône et ceux de Mons pour établir le lien entre les deux.

© Delahaye

© Delahaye

Avant ces recherches réalisées  en 2002 pour mon livre "L'Absinthe, les Affiches, éditions Musée de l'Absinthe, Auvers-sur-Oise" je n'avais pu renseigner Micheline Robette qui m'avait contactée quelques années auparavant. Ayant vu cette affiche et s'appelant Robette, elle souhaitait naturellement savoir s'il y avait un lien avec sa famille. Le livre sur les affiches lui a ouvert des perspectives notamment sur la Belgique. En septembre 2011, elle a publié un travail très poussé de généalogie dans le Bulletin n°111 de l'Association de Généalogie de Valenciennes (AGFH). J'en retiendrai quelques éléments.

Les renseignements de Micheline étoffent les miens et donnent une identité complète à cette très belle affiche Absinthe Robette, sublime représentation de l'Art Nouveau.

Qui était Robette ?

André Robette, né en 1740 dans le Hainaut a épousé en 1769 Marie François à Hornu, à une douzaine de kilomètres de Mons en Belgique. Le couple aura six enfants. Parmi eux, François Joseph Robette, né le 7 janvier 1782, épousera en 1812 Éléonore Bernard. Ils auront sept enfants.

L'un d'eux, Joseph Robette, né le 22 janvier 1813, charbonnier avant de devenir charcutier, s'installera à  Mons en 1848. Marié à Virginie Hayez, ils auront 10 enfants dont Zéphir Désiré Robette, né le 31 août 1836. Zéphir épousera à Valenciennes en 1857, Virginie Frère. Le couple habitait rue du Séminaire à Mons et aura cinq enfants. Zéphir Désiré Robette était marchand, fabricant de tabac avant de se lancer dans la distillation et le commerce des liqueurs. L'Annuaire du commerce de Belgique de 1884, le répertorie en tant que distillateur.

Annuaire du commerce de Mons, province du Hainaut, Belgique, 1884. © Delahaye.

Annuaire du commerce de Mons, province du Hainaut, Belgique, 1884. © Delahaye.

En fait, Robette ne distille pas d'absinthe. Il l'achète en France à Saint-Loup-sur-Semouse en Haute-Saône où Honoré Petitjean distille du kirsch et de l'absinthe depuis 1878. L'absinthe achetée en vrac en France était mise en bouteille en Belgique sous la marque Robette. C'est Zéphir Robette qui commandera en 1896 la très belle affiche qui porte son nom au lithographe Privat-Livemont dont l'atelier de lithographie était  à Bruxelles.

En 1894, l'affaire Petitjean passe au fils Charles et s'intitule désormais Petitjean Fils (Ch). Il avait épousé en 1875 Laure Robette et était donc devenu le gendre de Zéphir Robette. Ils auront cinq enfants et vivront à Mons, rue de la Petite Guirlande. Au décès de Charles, sa femme Laure devient l'associée de son père Zéphir Robette.

Annuaire du commerce, département de la Haute-Saône, 1897. © Delahaye.

Annuaire du commerce, département de la Haute-Saône, 1897. © Delahaye.

Si le Z de Zéphir est encore présent dans l'annuaire du commerce de la Haute-Saône de 1897, il n'est plus indiqué dans celui de 1898. Le nom Robette disparaît complètement  dans l'annuaire de 1900. Celui de Petitjean aussi.

Annuaire du commerce de Haute-Saône, 1898. © Delahaye.

Annuaire du commerce de Haute-Saône, 1898. © Delahaye.

La deuxième fille de Zéphir, Céline Robette, a épousé en 1888 Ferdinand Durieux. L'annuaire du commerce de Mons cite parmi les liquoristes Durieux-Robette (Vve) en 1900. Rien ne dit qu'ils continuent à vendre de l'absinthe.

De la Belgique à l'Argentine

Le cinquième enfant de Zéphir, Fernand Robette, né en 1866, a épousé en secondes noces en 1892, Raquel van Hende. En 1904, l'annuaire de Mons donne le distillateur-négociant Robette-Van Hende.

Leur négoce ne durera pas car en 1908, le couple part en Argentine, achète avec un compatriote Auguste Polli 14 km2 de dunes pour fonder à Pinamar, à  340 km au sud de Buenos-Aires, une  station balnéaire à laquelle ils donnent le nom de Balneario Ostende. La construction de la station balnéaire de Pinamar a commencé en 1912. C'était  un projet ambitieux qui comportait la construction d'une ville touristique avec des avenues, des bâtiments publics, des hôtels, un chemin de fer... Elle a été inaugurée le 6 avril 1913. On l'appelait "La perle de l'Atlantique" et était désignée comme étant "la plus belle baie d'Amérique du Sud".

La guerre de 1914 verra le retour de Fernand Robette en Europe. En 1920, Fernand ne répond pas aux autorités argentines car décédé. Le tout sera vendu aux enchères mais loin d'être abandonné, le projet sera repris quelques années plus tard et développé.

En 1931, le "Viejo Hotel Ostende" était un endroit recherché pour son charme particulier par les écrivains. C'est là, qu'Antoine de Saint-Exupéry a écrit Le Petit Prince.

Aujourd'hui

Pinamar est aujourd'hui encore une station balnéaire très huppée de la côte atlantique argentine. On peut séjourner à l'hôtel Gran Robette situé place Ostende et descendre l'Avenue Robette qui en part  et rejoint le bord de mer. On verra en passant la maison familiale de Fernand Robette toujours en bon état. L'hôtel Ostende et les restes de la rambla (promenade en front de mer) ont été déclarés monuments historiques en 1995.

Portion du plan de la ville de Pinamar. Maps Google.

Portion du plan de la ville de Pinamar. Maps Google.

L'hôtel Gran Robette. À l'entrée, le drapeau belge.
L'hôtel Gran Robette. À l'entrée, le drapeau belge.

L'hôtel Gran Robette. À l'entrée, le drapeau belge.

L'affiche fétiche de l'absinthe prend ainsi sa place dans une famille hors du commun. Loin d'amoindrir son aura, ces révélations lui confèrent une identité et une histoire qui s'inscrit elle-même dans le courant de l'Histoire. Elle s'en trouve enrichie, ce qui ajoute à son exceptionnelle beauté.

Quant à la ville de Mons, elle a été désignée le 9 février 2010 pour être capitale européenne de la culture en 2015. Mons est sur la Route européenne de Vincent van Gogh qui passe également par Auvers-sur-Oise. Un lien entre les expositions qui seront réalisées dans les différents lieux de la Route est en cours d'élaboration.

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