Apollinaire : Un Buveur d'absinthe qui a lu Victor Hugo
Tel est le titre d'une saynette de guignol illustrée signée W. de Kostrowitzky (Wilhem Kostowitzky), véritable nom de Guillaume Apollinaire (1880-1918). Cette œuvre de jeunesse datée 1896 est un amusement de collégien où Apollinaire montre l'intérêt qu'il porte aux marionnettes. Ce goût qui remonte à l'enfance sera notamment évoqué dans sa nouvelle Giovanni Moroni, dans le recueil Le Poète assassiné.
Un Buveur d'absinthe qui a lu Victor Hugo.
Scène de guignol.
Le juge. L'accusé. Un gendarme.
par
W. de Kostrowitzky
Le Juge. - Accusé ! Considérant qu'il est avéré que vous vous laissez trop aller à boire de l'absinthe ; considérant que dans l'état d'ébriété où cette liqueur vous laisse, vous rossez votre malheureuse femme et vos enfants, nous vous condamnons à 27 coups de rotin... Avez-vous quelque chose à dire pour votre défense ?...
L'accusé. - Monsieur le juge ! Voici ce que je dirai pour me disculper de ce titre de mauvais père de famille que vous me donnez. Tous les mois une de mes tantes qui habite la campagne m'envoie un grand pot de miel que je laisse en entier à ma femme et à mes enfants ; me contentant de boire ces quelques"Pernod" que vous me reprochez. J'ai fait deux parts en cette vie si dure...
(Sanglots dans l'auditoire)...
Toujours je pris l'absinthe et leur laissai le miel !...
(Bravo ! Bravo !)
... Kostrowitzky 1896
Le ressort comique est fondé sur une parodie d'un poème de Victor Hugo "Feuilles d'automne" "La Prière pour tous ", qui évoque la mère "faisant pour toi deux parts dans cette vie amère, / Toujours a bu l'absinthe et t'a laissé le miel". Apollinaire exprime ici sa tendance anarchiste avec le père indigne qui retourne l'image biblique magnifiée par Hugo, pour grimer son vice en vertu.